Découverte archéologique La plus vieille ville
de France ?
Ce n'était hier qu'une hypothèse jugée
farfelue, c'est aujourd'hui une vérité scientifique reconnue par
l'ensemble de la communauté archéologique : Béziers a bel et bien
été fondée par des Grecs au VIe siècle avant notre ère.
Baudoin Eschapasse
Dans les caves de l'ancienne poste, située
face à la mairie, Jean-Paul Wiegant n'a pu s'empêcher de creuser
pour exhumer les fondations des maisons antiques qui bordent l'avenue
Alphonse-Mas. Encombrés d'impressionnants tas de gravats, les
sous-sols de la Mission archéologique de Béziers dévoilent ainsi
les soubassements de plusieurs habitations : notamment les restes
d'une villa gallo-romaine et le mur de ce qui fut peut-être l'un
des temples bordant le forum, hier installé sous la place Gabriel-Peri.
« Ces édifices datent du Ier siècle
avant notre ère, mais la ville de Béziers est beaucoup plus ancienne
», commente Jean-Paul Wiegant, qui vient d'achever une grande
campagne de fouilles rue de la République. Campagne de fouilles
dont les découvertes ont permis une datation plus précise de la
fondation de la ville. « Nous savions déjà que les premiers
habitants du plateau s'étaient probablement installés en surplomb
de l'Orb, à l'âge du bronze [à partir de 1800 avant notre
ère, NDLR], mais nous ne nous doutions pas qu'une agglomération
existait là 600 ans avant Jésus-Christ », déclare Elian Gomez,
qui a lui aussi exploré les dessous de l'artère qui court de la
place de la Victoire aux halles de la place Pierre-Sémard. «
La tradition archéologique voulait, jusque-là, que la ville eût
été fondée par des Celtibères autour du IIIe siècle avant J.-C.
», explique-t-il. Les deux hommes s'apprêtent à publier leurs
conclusions, qui contredisent radicalement deux siècles d'orthodoxie
historique. Près de dix-huit années d'enquête auront néanmoins
été nécessaires pour y parvenir.
Tout commence en 1985, avec le chantier
de fouilles de la place de la Madeleine, sur l'emplacement de
l'actuel parking souterrain. Alors que Christian Olive et Daniela
Ugolini recherchent la trace de maisons ibéro-languedociennes,
les deux scientifiques du Service régional d'archéologie découvrent
avec stupéfaction une immense maison « qui ne cadrait pas du
tout avec ce que nous nous attendions à trouver là », confie
Daniela Ugolini, aujourd'hui chercheuse au CNRS, à Aix-en-Provence.
« Nous aurions dû, en toute logique, exhumer les fondations de
petites maisons, des poteries de terre cuite typiques de la péninsule
ibérique et, éventuellement, des graffitis dans cette langue dérivée
du punique et parlée à l'époque dans la région », explique-t-elle.
Au lieu de quoi les deux chercheurs tombent sur une rue de 10
mètres de large, bordée par une belle villa de plus de 150 mètres
carrés, construite autour d'une cour et présentant un vestibule,
un mobilier attique et des tuiles typiques de la civilisation
grecque. « Nous n'en avons pas cru nos yeux ! Nous avons même
pensé, un moment, que nous nous étions complètement trompés dans
nos interprétations », plaisante aujourd'hui l'archéologue
d'origine italienne, spécialiste du pourtour méditerranéen. «
Nous avons bien dû nous rendre à l'évidence, cependant, en découvrant
des céramiques ioniennes. Cette maison était bel et bien grecque
», complète Christian Olive.
Des canalisations en plomb
Longtemps, les tenants de l'histoire officielle
prétendront qu'il s'agit d'une villa isolée d'un Grec exilé...
Mais les sondages effectués rue Mairan, rue Guibal, sur les allées
Paul-Riquet, place Jean-Jaurès et jusque dans le cloître de la
cathédrale révéleront partout la même configuration souterraine.
Il faudra cependant attendre les grands travaux de voirie de la
rue de la République, l'an dernier, pour pouvoir étudier sur plus
de 800 mètres les entrailles de la ville. « Ce qui est rarissime
dans une ville médiévale, et donc protégée, comme Béziers », note
Jean-Paul Wiegant.
Commencées fin octobre 2002 aux abords
du théâtre, les fouilles de dix mois vont permettre d'exhumer
des trésors. Mieux que des pièces d'or : des bouts de canalisations
en plomb, des tessons d'amphores et des fragments d'énormes réservoirs
en terre cuite, nommés dolia par les Romains et pithos
par les Grecs. Rien de bien spectaculaire aux yeux du public,
qui préfère s'extasier sur une mosaïque du XIXe que sur des morceaux
de terre cuite. Ce sont pourtant ces débris qui s'avéreront le
plus parlants !
Car la technique de poterie de certains
vases ou récipients ménagers [tournée et non modelée, NDLR], la
texture de la pâte et les couleurs utilisées attestent indiscutablement
leur origine. « Aujourd'hui, l'identité grecque de la ville
ne fait plus aucun doute », assène Jean-Paul Wiegant. La cité
antique n'a pas été fondée par des « indigènes », mais bel et
bien par des colons venus d'Athènes, d'Ephèse ou de Sparte.
Cette fondation hellénique n'est pas la
moindre surprise des chercheurs. La taille de la cité les sidère
aussi. « Occupant dès 600 avant J.-C. près de 10 hectares en
centre-ville, Béziers fait en effet plus de 40 hectares dès -
500 », précise Daniela Ugolini. Un tiers plus grande que la
cité phocéenne de l'époque ! « Et encore nous n'avons pas tout
fouillé », ajoute Christian Olive. Plus grande et peut-être
plus ancienne que Marseille. Une vraie révolution... Puisque l'on
considère traditionnellement que les plus vieilles implantations
hellénistiques en Europe occidentale, après l'Italie méridionale
au VIIIe siècle avant J.-C., se trouvent à Marseille ou à Bessan-La-Monédière,
pour la France, et Ampurias, pour l'Espagne.
Sans doute demeure-t-il bien des mystères.
On n'a ainsi pas encore retrouvé de nécropole, ni le port qui
servait, sur l'Orb, de point de départ aux nombreuses flottilles
de commerce qui apportaient le corail ou les amphores de vin qu'on
a retrouvées en quantité dans les sous-sols. La plus grande énigme,
aux yeux des chercheurs, demeure néanmoins la raison pour laquelle
la ville se dépeupla brutalement au IIIe siècle avant notre ère.
« Le déclin de la ville y est en effet très rapide. Il s'inscrit
en ce sens dans un contexte général de dépeuplement de l'ensemble
du Languedoc », constate Elian Gomez. Famine, guerre, épidémie,
canicule ? Les scientifiques étudient aujourd'hui toutes les hypothèses.
Sans trouver de réponse satisfaisante.
Inoccupée pendant trois ou quatre générations,
la ville ne revivra qu'en - 200 avec l'arrivée de peuplades gauloises
surnommées les Longostalètes et dont on ne garde d'autres traces
que quelques pièces de monnaie (visibles au musée du Biterrois).
Pièces portant le nom de leurs rois : Bokios, Amitos, Bitonios...
et le mot Betaratis (génitif grec de Betara, ancêtre de Béziers).
Ultime sursaut d'hellénité avant que la septième légion, venue
de Narbonne, romanise les Biterrois d'alors...
L'oppidum d'Enserune
Situé à une dizaine de kilomètres
de Béziers, Enserune, juchée sur une éminence rocheuse
surplombant la plaine de Narbonne, constitua probablement
l'une des plus grandes places fortes de Gaule pendant
l'Antiquité (ce que César appelait « oppidum »). Fouillé
dès 1915, le site révéla, parmi les objets découverts,
de nombreux tessons de céramique témoignant d'un peuplement
ancien d'origine ibéro- celtique. Longtemps conservateur
du lieu, l'abbé Joseph Giry, qui effectua des fouilles
en centre-ville lors de la construction d'abris antiaériens,
en 1940, transposa très légitimement à Béziers les
conclusions qu'il avait établies pour Enserune. Conclusions
aujourd'hui contredites par les découvertes les plus
récentes B. E.